“Aujourd'hui, sur cette terre du nord, le soleil s'appelle le Louvre.”  
F. Hollande, 4 décembre 2012, pour l'inauguration du Louvre Lens.
Dix ans plus tard, où en sommes nous ?
La ville de Lens et ses alentours ont vécu de l’industrie du charbon durant près de trois siècles, jusqu'à la fermeture de sa dernière mine    en 1990.
Depuis, la ville est marquée par le chômage et la pauvreté et peine à se construire une économie nouvelle.
Le projet du Louvre Lens a pour objectif d’améliorer les conditions de vie de la population et de proposer une culture dont les habitants du bassin minier étaient jusqu'alors exclus.
Pour son dixième anniversaire, le soleil du Louvre a-t-il percé les nuages du charbon. Qu’en est-il de l’arrivée du “plus grand musée du monde” à Lens et plus précisément dans les quartiers proches de celui-ci ?

1 : Lens, 1960, la fosse 9 et 9 bis, ancien site minier, correspond à l’exacte position prévue pour le Louvre. Photographie d'archive.

2 : Lens, 2012, achèvement des travaux du Louvre et de son parc, sur la friche du site minier. Photographie d’archive.

3 : Lens, 2022 : dans le hall du musée, une sculpture célèbre le 10ᵉ anniversaire du Louvre.

4 : L’architecture moderne, conçue par le cabinet japonais SANAA, allie verre et métal. Un habillage sobre contrairement à celui de son homonyme parisien.

5 : Restaurant, cafétéria, bibliothèque, en plus de La Galerie du Temps et des expositions temporaires ; le musée dispose de tout pour passer une journée complète.

6 : La Galerie du Temps, couloir à la disposition unique au monde, voit défiler les visiteurs le long du temps. Ses œuvres sont issues et disposées de 5000 ans avant JC jusqu'à l'époque moderne. Cette galerie est gratuite pour tous depuis l’ouverture du musée, contrairement aux expositions temporaires.

7 : Des élèves de maternelle jusqu'à ceux des études supérieures, les groupes scolaires représentent environ un cinquième des visiteurs du Louvre, soit près de 100 000 par an.

8 : Gautier Verbek est directeur de la médiation du Louvre Lens, et s’occupe de la relation au public. Conscient des difficultés de la région, il livre que ce "territoire a souffert et continue de souffrir. [...] Le pari, c'est de redynamiser un territoire sur la base culturelle.". Son rôle, dit-il : "C'est que la possibilité de la rencontre soit créée. […] Les gens sont très intimidés à l’idée de venir au musée”. Pour y remédier, il explique "les grands engagements du musée sur l’aide à l’insertion, l’aide contre le décrochage, la lutte contre les exclusions liées à la pauvreté [qui passent par] les projets avec les habitants et les structures des champs sociaux". Il veut : "Considérer que le musée est avant tout un service public”. Il précise que le Louvre représente : “500 000 visiteurs par an, ce qui nous place parmi les meilleurs musées de provinces. [Il y a] 70 % d’habitants de la région et [...] entre 15 % et 20 % d’habitants très proches. La proportion d’ouvriers et d'employés chez nous est de l’ordre de 23 %. Dans les autres musées de France, elle tourne entre 10 % et 13 %. [Enfin] Le pari pour nous, c’est la jeunesse”.

9 : Dans la boutique du musée, quelques seuls objets souvenirs font référence à la région et son passé minier.

10 : L'architecture, dont le verre est majoritaire, apporte un effet visuel particulier, comme si l'extérieur révélait une œuvre gigantesque. 

11 : Le Louvre, s'entoure d'un espace naturelle de 20 hectares, à disposition des habitants et des touristes. La nature y a une place très importante, faisant du parc une œuvre a part entière.

12 : A travers les branches de la forêt du Louvre, On peut apercevoir les quartiers populaire adjacent, évoquant une possible intention de les cacher aux yeux des touristes.

13 : Accolée au Louvre, se trouve la cité Jeanne d’Arc. Le coron, quartier d'habitation minier, fait partie de l'Inscription du Bassin Minier au Patrimoine Mondial de l’Unesco pour son passé industriel. Il est aujourd'hui considéré comme quartier prioritaire de la ville.

14 : À l’arrivée du Louvre, les façades ont reçu un coup de propre par le bailleur social : nouvelle jeunesse pour toutes ces maisons de briques, semblables les unes aux autres.

15 : Joël (à gauche) et Marie-Thérèse (à droite) : un couple de retraités. Amandine (au centre) avec sa fille sont, quant à elles, les voisines du couple. Joël, ne va pas au Louvre puisqu'il l'a "au bout du jardin". “Dans le quartier rien n'a bougé" dit-il. Ils se qualifient : "D'éternels oubliés". "On nous a repeint les murs des maisons pour l'arrivée du Louvre" indique Joël. Le coron était à l'ouverture : "Considéré comme quartier du Louvre, et les poubelles passaient tous les jours. [Jusqu'aux jours où] ils ont décidé que le quartier ne faisait plus partie du Louvre" explique-t-il. Du même avis que son époux, Marie-Thérèse, regrette ce qu'est devenu le quartier et pense : "Que ce n'est pas ici qu'ils auraient dû le faire [car] ici il n'y a rien". Amandine partage l’avis de ses voisins sur la dégradation du quartier. À propos du musée, elle reste plus positive, sa fille a souvent l'occasion d'y aller avec l'école et c'est une bonne chose.

16 : Christophe et Bryan, ont un regard mitigé sur le Louvre : en 10 ans, ils n'y ont "pas été une seule fois". Ils se disent pas intéressés par : "La culture [et] l'art". Pour Christophe : "Ça n'a rien changé [sauf] les loyers. À côté du Louvre [...] ils sont chers, ici, c'est 650 euros pour une maison des mines, [au-delà] c'est 400, pourtant c'est les mêmes maisons". Pour Bryan : "C'est un plus qu'ils aient ouvert ça à Lens [...] entre la sécurité, les restaurants, ça crée des emplois". "C’est bien, ça fait du tourisme" ajoute Christophe.

17 : Le Louvre apparaît entre deux maisons de la cité Jeanne d'Arc, preuve de la proximité des deux mondes.

18 : Cédric, Fanny, et leurs quatre enfants, sont une famille qui habite une maison des corons depuis dix ans. Les parents eux sont peu allés au Louvre. Cependant, Fanny dit que les enfants "y sont allés avec l'école souvent". Cédric ajoute : "Le parc est impeccable pour les enfants, ils y vont avec l'école, [...] ils font des activités". Il est tout de même déçu : "Pour nous ça ne change rien". Fanny aussi regrette : "Quand les enfants vont au Louvre avec l'école, c'est gratuit, mais nous pour les emmener, les adultes, on va devoir payer (7 euros par enfant et 11 par adultes). La facture ça monte vite". Ils avouent ne pas être au courant que la galerie du temps est gratuite. Cédric, en tant que petit-fils de mineurs, regrette qu’ils aient "démoli beaucoup de choses”. Pour faire le musée “ils ont abattu des maisons pour faire un parking et il n'y a jamais personne” ajoute Fanny.

19 : La maison de Ludovik, Mylène et leur fils, est collée au Parc du Louvre. Le père, d'une famille de mineurs, trouve "qu'il n'y a pas beaucoup de visiteurs". Il accuse la programmation du musée, qui est "comme [...] à Paris". Il trouve "dommage que ce soit [davantage de] culture historique". Pour lui il manque "la mine, c'est aussi historique. [...] S'ils font une salle spéciale mine [...] tous les mineurs vont y aller" ajoute-t-il. Ludovik et Mylène sont en conflit avec le Louvre à propos des arbres qui bordent leur jardin, malgré le fait qu'ils aient "fait appel au Louvre [et] à la mairie, ça ne bouge pas". Ils ne savent plus comment faire. Dans le quartier, un arbre du parc est déjà tombé dans le jardin d'une autre maison, me racontent-ils.

20 : Jean-Pierre, fils de mineur, habite le quartier depuis 30 ans. Il a "vu se semer [et] lever le Louvre de A à Z". Il explique qu'avant, c'était "une friche des houillères" suite à la fermeture des mines. Jean-Pierre a un avis construit sur le musée : "Au début ça m'a beaucoup plu, je me suis dit, ce sera quelque chose qui va attirer du monde". Il poursuit à propos du parc  : "Au départ j'ai regretté [...] ma vieille friche, j'avais mon vieux bois. Maintenant je me dis que c'est beau, c'est propre, c'est entretenu, ça a du sens". Pour être allé "deux fois dans le Louvre", il dit : "Je suis ravi, mais question de visiter le Louvre, je ne critique pas parce que ça plaît à beaucoup de gens, mais je n'y arrive pas. [...] Je ne comprends rien aux tableaux. [...] À 77 ans, je n'arrive pas à m’adapter à visiter un Louvre”. Puis il conclut : "Je suis ravi que le Louvre soit près de chez moi [et] dans la région des Hauts-de-France, ça nous a remontés".

21 : Au fond du jardin de certaines maisons, à travers la simple palissade qui les sépare, on aperçoit le Louvre.

22 : Le parc autour du musée est très apprécié par les Lensois. Les nombreux chemins qui le parcourent forment des multitudes d'entrées et de sorties qui relient le Louvre aux différents quartiers adjacents. Véritable poumon vert pour la ville industrielle, nombre de personnes viennent s'y balader tous les jours. Ici, deux femmes en profitent pour ramasser quelques fleurs.

23 : Yeonghwa et son amie Hakyeong, sont venus des Pays-Bas en train "pour le Louvre", avec une escale à Lille la veille. "Nous sommes architectes et nous aimons beaucoup le bâtiment". C'est d'ailleurs leur motivation première. De Lens, ils ont "vu seulement la gare" et n'ont "pas le temps" d'en voir plus. "Nous devons repartir pour les pays-bas dans la journée" expliquent-ils. Les visiteurs étrangers représentent environ 20 % du public du musée chaque année.

24 : Ahmed, Jonathan, Sofian, Rachid et Abdel (de gauche à droite), viennent quasi-quotidiennement jouer à la pétanque dans les jardins du Louvre. Ahmed, trouve le projet "vachement bien, le parc est super pour les enfants et les habitants autour". Il se réjouit : "Ça attire du monde [car] Lens, c'est le trou du cul du monde et aujourd'hui, il y a des gens qui viennent de partout du monde, pour Lens. Ça crée une nouvelle dynamique". Il constate aussi ses limites : "Je pense qu'il y a peu de retombées économiques sur Lens".

25 : De l’autre côté du parc, tout aussi proche du Louvre, se trouve un autre quartier qui date des années 60. Dans ces maisons, la majorité des habitants est composée de personnes âgées et retraitées.

26 : Marcier (à droite), son mari et ses petits-enfants sont globalement contents du musée. Le Louvre est juste derrière les arbres de son jardin. Elle raconte avoir "subi pendant les travaux avec des inondations''. Avec la proximité, elle voyait que "les touristes observaient vachement, je n'aimais pas ça" dit-elle. Cependant : "Les habitants ont été pris en considération [...] le musée a creusé une fosse contre les inondations et fait un mur végétalisé pour nous cacher". Marcier semble donc contente du projet et "y va régulièrement" pour visiter ou simplement se balader.

27 : Dans ce quartier, comme dans l’autre, toutes les maisons sont identiques, même taille, même forme, même petit jardin, toutes très bien entretenues.

28 : Ferdinand est fils de mineur italien. Il n’a "pas raté une exposition depuis l'ouverture". Il a sa "carte d'abonnement, tout naturellement". Il déplore toutefois être un cas isolé. Selon lui : "Les Lensois, par eux-mêmes, je ne sais pas s'ils sont tellement motivés". Il explique cela par un fossé culturel trop grand : "Au départ, c'est une éducation, c’est pour ça que c’est très bien que les enfants des écoles rendent visite au musée [...] c’est une excellente initiative. [puis ajoute] C’est cette nouvelle génération qui va avoir plus d’impact”.

29 : Brigitte a grandi à Avion, non loin de Lens, et n'a jamais quitté les environs. Elle vit dans le quartier "depuis huit ans". Cependant, elle ne va jamais au Louvre et "ne saurait même pas dire quand ça a été fait". Pour elle : "Les sous, il y a autre chose à faire qu'à les donner à eux. [Ceux qui ont fait le musée] ils ont mis plus de beurre que de pain". Son fils a travaillé trois ans en tant qu'agent de sécurité du musée. Malgré ça elle "ne voit pas l'intérêt". Puis questionne : "Combien de milliards ça a coûté ? Alors que t'as des tas de gens ici qui n'arrivent pas à vivre". Elle ajoute : "Ici ce n'est pas vivre, c'est survivre. [...] Au point qu'il y a des gens qui n'arrivent pas à se soigner".Le dialogue continue : "Au début ils disaient [que] ça va faire du travail pour les gens de par ici, mais ils n'en ont même pas de par ici. Les 3/4 des ouvriers c'est tous des parigots et tout ce que tu veux"."Ils ont voulu nous foutre du poivre dans les yeux ! [...] Je ne mettrai pas 10 euros pour aller là-dedans. [...] L'état nous vole assez" conclut-elle.

30 : Dans ce quartier, à quelques mètres aussi, on peut apercevoir un bout du Louvre entre les maisons.

31 : A la sortie, face au musée, l'estaminet Le Derby, situé à deux pas, a placé un panneau pour attirer la clientèle. Plusieurs commerces et restaurants, longent la rue qui fait face au musée.

32 : Robins, gère Le Derby, un estaminet et une brasserie artisanale. "Ça fait huit ans qu'on est là. On est là grâce au Louvre". Il précise : "On a repris ici grâce au Louvre et on est resté grâce au Louvre [et] espère vendre grâce au Louvre un jour". Environ 60 % de sa clientèle vient du musée. Il dit aussi "essayer de toujours faire partie des animations" qu'organise le Louvre. La boutique souvenir du Louvre vend même sa bière.

33 : Marie dirige d'une main de fer le bistrot Chez Cathie situé en face du Louvre. Elle a pensé son offre en fonction du musée, avec les mêmes horaires. "Je travaille beaucoup avec le Louvre et l'office du tourisme. Il y a énormément de touristes. J'ai des Lillois, des Parisiens [...] ça apporte quand même pas mal de monde" mais peu de gens du coin précise-t-elle. Elle dit y aller "par groupe de 40, à chaque fois ils privatisent le restaurant, j'ai deux, trois groupes par semaine". Fière de son business, elle ne manque pas de préciser être "bien cotée, numéro 1 dans le guide du petit futé". Enfin, elle précise : "Je suis dans le bouquin du Louvre Lens. [...] Manquerait plus que ça après tout ce que je fais pour eux " !

34 : Charlotte fait partie de l'association Porte Mine, qui a ouvert deux "tiers lieux" sur le territoire pour créer du lien avec les quartiers. Le bâtiment, accolé au Louvre, accueille un bar, une salle de concert et de résidence artistique. Elle, est "arrivée dans le coin, il n'y a pas longtemps". Elle a tout de même son avis sur le Louvre : "J'ai l'impression que c'est un peu une bulle et que rien n'est fait pour les habitants". Elle raconte : "On a fait des maisons à insectes avec les habitants dans notre jardin collé au parc. Le Louvre est venu nous voir pour demander de les enlever, car : c'est moche”. Pareillement pour un projet d’œuvre d’art participative, sur leur terrain, qui ferait "le lien entre les quartiers et le Louvre”. Le projet est à l’arrêt, la mairie et le Louvre se montrent réticents.

35 : En face du musée, l'Hôtel du Louvre, 4 étoiles, a vu le jour en 2018, dans d’anciens corons typiques. Il est la seule offre hôtelière proche du Louvre créée en dix ans. Son directeur, Olivier Pruvost, avoue : "il ne fonctionne pas comme souhaité, les gens n'ont pas de raisons de dormir plusieurs jours ici, pour le moment".

36 : À côté du nouvel Hôtel du Louvre, on trouve les mêmes anciens corons, encore en rénovations. De nombreuses familles ont été délogées à l'occasion du réaménagement du quartier.

34 : Margherita Balzerani est directrice du Louvre Lens Vallée, un incubateur d'entreprises innovantes, créatives et culturelles, qui a vu le jour en 2013 non loin du musée. Il s'inscrit dans la volonté de créer un écosystème, économique et culturelle autour du Louvre. Chaque année, une quarantaine d'entreprises y naît, avec pour objectif de relancer l'attractivité des environs, en particulier chez les jeunes entrepreneurs locaux. "Nous, on est ici pour le territoire, [...] avec les acteurs du territoire, il faut rester local et jouer l’inclusion, travailler avec le public d’ici en priorité” dit-elle. Le Louvre, Margherita en est ravie : pour elle, ces dix dernières années ont été de l’ordre du “désir”. Il faut : “Détourner l’image de ce territoire qui est mortifère. [Il y a une] dichotomie entre les anciens fils de mineurs et les petits-fils de mineurs ; c’est là où ça va se jouer. [...] Ils vont s’autoriser à changer l’image de ce territoire. [...] Pour moi, c'est une page blanche", conclue-t-elle.

38 : Lorsqu’on sort du site du Louvre, en direction de la gare, on remarque que de nombreuses infrastructures ont été refaites à neuf pour embellir les alentours. Un chemin reliant directement la gare au musée a été réalisé. Il permet d'éviter de passer dans le centre et les quartiers de Lens. Il réduit le temps de marche à environ 25 minutes, contre 30. 

39 : En face de la gare de Lens, on trouve un cache-misère publicitaire pour le Louvre, qui recouvre un bâtiment d'habitation délabré.  C'est la première vision que l'on a quand on arrive en train.

40 : Pour arriver et repartir, le train reste le principal moyen de transport pour les touristes. Certains ont été repeints aux couleurs du Louvre. La Marianne de Delacroix semble vouloir, comme toujours, guider le peuple vers un autre avenir.

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